Les célèbres Gesta episcoporum Cameracensium rédigés sous l’autorité de Gérard Ier de Florennes rapportent par le détail les agressions qu’auraient eues à subir les évêques du diocèse double de Cambrai-Arras entre le début du xe siècle et le milieu du siècle suivant. D’aucuns ont parfois pris appui sur les lamentations de l’historiographie épiscopale pour poser le diagnostic d’une crise de l’Église de Cambrai autour de l’an mil. Cette période correspond pourtant au moment où la seigneurie épiscopale s’accroît inexorablement, et ce au détriment du pouvoir comtal laïque qui semble progressivement marginalisé. Entre les années 940 et 1007, Cambrai se mue effectivement en une véritable principauté épiscopale placée sous l’autorité d’évêques-comtes proches des Ottoniens. Le présent article revient sur ce processus complexe. Il s’agit essentiellement de déterminer selon quelles modalités et selon quels rythmes les prélats en sont venus à accroître l’episcopatus cambrésien. En examinant de plus près les relations entre les Ottoniens, les évêques et l’aristocratie locale, on s’efforce de comprendre comment l’accroissement de la seigneurie épiscopale a pu servir les intérêts politiques des empereurs, dont l’ambition était alors de mieux intégrer la Basse-Lotharingie à l’Empire. Tout en soulignant combien les intérêts des Ottoniens et des prélats cambrésiens ont convergé après la bataille d’Andernach - laquelle constitue probablement un tournant important dans l’histoire de la Lotharingie -, l’article retrace les grandes étapes de la construction de la seigneurie épiscopale, souligne l’influence des empereurs dans le choix des évêques et met en lumière les relations privilégiées qui ont uni ces derniers aux Ottoniens. In fine, l’étude du dossier cambrésien permet d’esquisser une réflexion sur la notion de Reichskirchensystem, qui, si elle a parfois été critiquée à juste titre, n’en demeure pas moins un outil d’analyse pertinent dans le cas cambrésien.