Violence et Société
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Cris de haine et rites d'unité
La violence dans les villes, 13e-16e siècle
La violence semble une composante permanente de la vie urbaine au Moyen-Age. Dans l'espace clos que ménagent les remparts une société particulière s'est constituée en effet que des dissensions multiples écartèlent. Jeunes et vieux laïcs et clercs s'y adonnent également partageant les rivalités politiques les querelles d'intérêt les rancœurs des laissés-pour-compte ou les haines que développent parmi les populations chrétiennes la présence de minorités juives ou arabes. Quelles que soient ces manifestations - rixes assassinats viols crimes crapuleux attentats contre les forces de l'ordre insultes ou blasphèmes - la violence trouve en ville le support de solidarités constituées et s'inscrit dans les rythmes quotidiens : ceux de l'habitation de la rue ou des multiples lieux de rencontre qu'offre la cité. Les temps exceptionnels de la fête ou de la révolte exaspèrent ses accès la rendent sauvage et passionnelle. Pour la prévenir ou la maîtriser afin qu'elle se maintienne en deçà d'un seuil de tolérance les autorités imaginent bien des procédés depuis les instances de conciliation ou les prédications de paix jusqu'à la répression policière en dépit des faiblesses qu'elle présente. Cependant les peines et les exécutions publiques qui légitiment les manifestations officielles de la pire cruauté traduisent une interprétation sélective du crime et un jugement inégal des violents. Tolérée lorsqu'elle exprime le style de vie des notables la violence est réprimée avec ardeur quand elle se charge d'une menace pour l'ordre politique ou social. A la fin du Moyen-Age au moment où la puissance de l'Etat se veut démonstrative la seconde interprétation devient plus fréquente et marginalise une fraction de la population urbaine dont on exagère ou redoute les excès.
De Pierre Rivière à Landru
La violence apprivoisée au XIXe siècle
A l'époque de la Premiére Guerre les crimes de Landru les grèves ouvrières les mauvais traitements infligés aux animaux apparaissent comme les ultimes manifestations de la force brutale.
Et pourtant au début de la Restauration les coups sont fréquents et le sang coule d'abondance. Pierre Riviére égorga sa famille les maisonnées et le voisinage connaissent de funestes démêlés les pugilats au village comme les rixes en rase campagne foisonnent les émeutes et la répression rythment le siécle. Comment est-on passé d'une époque où la brutalité était familière à une autre qui a rejeté toutes les formes de violence?
L'ouvrage retrace cette grande métamorphose à travers les pratiques les discours et les perceptions.
La violence au village
Sociabilité et comportements populaires en Artois de 15e au 17e siècle
Robert Muchembled a tenté de reconstituer les mentalités et les comportements collectifs de plusieurs générations d'environ 200 000 provinciaux de 1400 à 1660 en utilisant des documents judiciaires. La violence joue alors un rôle fondamental. Les paysans en particulier soit les trois quarts des habitants vivent malgré elle contre elle ou avec elle. Loin d'être immobile ou froide leur société est régie par une perpétuelle recherche d'équilibre interne contre les dangers les difficultés les peurs de toute nature. Brutalité et agressivité n'y ont pas uniquement un effet destructeur ou déstabilisateur. À côté de dérapages et de crimes la violence prend de multiples formes sociales rituelles et symboliques destinées à assurer la pérennité du groupe au prix de secousses d'explosions et de sacrifices il est vrai. Il lui arrive donc souvent de créer de la cohésion sociale. Elle s'enseigne. Elle participe à l'éthique des populations notamment à celle des jeunes hommes. Elle appartient malgré ses excès à la sociabilité ordinaire. Véritablement tissée dans la trame même de la vie elle s'épanouit plus fréquemment dans les temps et les espaces de la fête ou du loisir - à la taverne notamment - que dans ceux du travail. Elle enracine en chacun un puissant sens d'opposition aux étrangers et une éthique très virile qui le poussent à sauvegarder son honneur sous le regard de tous sur les multiples scènes d'une sociabilité très théâtralisée. Une telle vision du monde n'implique pourtant ni désespoir existentiel ni résignation systématique car un intense appétit vital s'exprime en particulier lors des fêtes des jeux ou des danses malgré les tensions habituelles ou en dépit de certaines poussées particulières de pessimisme.
L'auteur explique finalement qu'une lente mais inéluctable confiscation de la violence par l'Etat la justice et l'Eglise s'amorce avec la "civilisation des mœurs" venue des villes à partir du XVIIe siècle pour aboutir aux personnages policés et autocontraints que nous prétendons être devenus!
Professeur à l'Université de Paris-Nord Robert MUCHEMBLED s'intéresse surtout à l'histoire culturelle et sociale du Moyen Age à la Révolution. Il a publié récemment L'Invention de l'homme moderne. Sensibilités mœurs et comportements collectifs sous l'Ancien Régime (Paris Fayard 1988). Il dirige la revue Mentalités. Histoire des cultures et des sociétés (Paris Imago diffusion P.U.F.).
La collection Violence et Société est présentée en fin de volume.