Bibliothèque d'histoire culturelle du Moyen Âge
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Dans le miroir de Johan Huizinga
Écrire et penser l’histoire au prisme de la France
Écrire et penser l’histoire au prisme de la France L’automne du Moyen Âge (1919) est assurément l’un des grands classiques de l’historiographie et le livre comme son auteur Johan Huizinga (1872-1945) connaissent une attention internationale renouvelée. Mais force est de constater que l’historien néerlandais demeure en France une référence marginale en dehors du milieu des médiévistes à la différence de son autre chef d’œuvre Homo ludens (1938).
Or la prise en compte de l’ensemble de ses écrits permet de mesurer combien son approche peut éclairer les débats épistémologiques de notre temps. Pionnier de l’histoire culturelle Huizinga met la force des représentations au premier plan du processus historique ; il pratique et préconise une démarche herméneutique et non causale ou structurelle. Car - et c’est là une divergence majeure avec notamment Lucien Febvre et Marc Bloch - il s’agit moins pour lui d’expliquer le passé à travers ses traces que de comprendre ses acteurs à travers leurs signes. D’où le privilège des sources narratives et iconographiques dans une écriture qui elle-même prend la forme du récit : un récit nourri d’abondantes références françaises.
C’est pourquoi le présent livre s’efforce de retracer à travers les relations de Huizinga avec la France sa conception et son écriture de l’histoire notamment dans L’automne du Moyen Âge dont on propose ici une relecture. Mais aussi de regarder la France son histoire et ses historiens dans le miroir de Johan Huizinga convaincu que l’on est des vertus d’un regard étranger pour éclairer le débat national.
Matthieu d’Aquasparta
Portrait d’un maître en théologie franciscain au miroir de ses Quodlibets
Franciscain d’origine ombrienne Matthieu d’Aquasparta (v. 1240-1302) est maître en théologie à l’université de Paris au moment de la censure de 1277. Il rejoint ensuite la Curie pontificale en 1279. Doté de talents politiques certains il est brièvement ministre général de l’ordre franciscain avant d'être créé cardinal par Nicolas IV en 1288. Il obtient la charge de grand pénitencier et devient un soutien fidèle de Boniface VIII. Depuis le début du XXe siècle la pensée du théologien avait surtout fait l'objet d'études construites à partir de l'édition progressive de ses Questions disputées. Cet ouvrage propose une biographie complète de Matthieu d’Aquasparta au prisme de ses textes universitaires grâce à l’analyse de sa bibliothèque personnelle de ses manuscrits de travail légués aux couvent d'Assise et de Todi et de ses Quodlibets encore inédits.
Former la masculinité
Éducation, pastorale mendiante et exégèse au xiii e siècle
« On ne naît pas homme on le devient ». La formule de Simone de Beauvoir détournée par les historiennes et les historiens des masculinités peut également s’appliquer à la période médiévale à travers l’éducation. Au sein du discours clérical du xiii e siècle la masculinité laïque loin d’être innée est en effet envisagée comme un apprentissage autant pour les garçons et les adolescents que pour les adultes - pères de famille et maris. Cette identité de genre constitue un statut qui s’acquiert au prix de nombreux efforts sur soi-même par un long processus de transformation intérieure. Élaboré dans les commentaires bibliques un idéal de masculinité incarné par Adam se dessine également et exerce une grande influence sur le comportement masculin prescrit dans les textes pédagogiques. Le discours normatif ainsi produit participe de la différenciation des sexes. Il constitue un moyen privilégié de forger l’identité sexuée et un terreau fertile d’exploration historique.
Dans une perspective d’histoire culturelle et sociale cet ouvrage s’intéresse à la manière dont la masculinité est construite au sein d’un corpus de sources du xiii e siècle principalement composé par des frères mendiants. Il interroge un domaine de recherche au développement récent en plein essor depuis les années 1990-2000 qui reste toutefois encore peu exploité pour la période médiévale en particulier dans le milieu francophone. Ayant rendu les hommes visibles en tant qu’êtres sexués l’étude des masculinités s’avère pourtant complémentaire de l’histoire des femmes et indispensable pour appréhender les sociétés médiévales dans le dialogue entre les genres qui y prend place.
Le roi Salomon au Moyen Âge
Savoirs et représentations
À l’époque médiévale en Orient et en Occident se conjuguent sur la figure mythique du roi Salomon des aspects variés et parfois contradictoires touchant aussi bien au secret qu’à une diffusion d’idées et de représentations visant à un consensus social et politique. Les contributions ici réunies s’inscrivent dans une optique comparative dans la mesure où la place qu’occupe Salomon dans les trois religions du Livre (judaïsme christianisme islam) n’a fait que croître et embellir durant la période médiévale dans le cadre d’une symbolique du pouvoir en partie commune et de ce que l’on pourrait qualifier une « culture de l’équivoque » (Bruno Roy). Paradigme du roi sage et juste d’après le texte biblique Salomon est en effet également un souverain dépravé pourvu de 700 épouses et de 300 concubines femmes qui au temps de sa vieillesse détournèrent son cœur pour l’inciter à suivre d’autres dieux et à sombrer dans l’idolâtrie. Son sort dans l’au-delà a ainsi fait l’objet de nombreuses spéculations. En outre plusieurs traités pseudépigraphiques grecs des premiers siècles de notre ère ainsi que la tradition juive rapportée par Flavius Josèphe et abondamment exploitée dans l’Occident médiéval (notamment à partir du XIIe siècle) en font un roi exorciste et magicien capable de contraindre les démons à lui obéir. Salomon joue également un rôle fondamental dans la littérature magique byzantine copte et arabo-musulmane dont certains spécimens ont été traduits ou adaptés en latin. À l’instar d’Hermès et d’Aristote il est donc l’un des grands héros emblématiques du vaste mouvement de transfert culturel entre l’Orient et l’Occident qu’a connu la seconde moitié du Moyen Âge.
Liberté de parole
Les élites savantes et la critique des pouvoirs, Orient et Occident, viii e-xiii e siècle
La parrhésia antique idéalisée cette parole franche qu’autorise et exige la démocratie devrait disparaître avec l’installation des pouvoirs souverains du Moyen Âge. De fait la répression légale des paroles sacrilèges signale la naissance de la théocratie pontificale et de l’État moderne au tournant des XIIIe et XIVe siècles. L’absolutisme va de pair avec une réduction de la liberté de parole à un simulacre politique.
Entre le XIIIe et le XIIIe siècle cependant en Occident latin en Islam et dans l’empire byzantin des pouvoirs souverains qui disent tenir de Dieu leur autorité voient leurs élites religieuses continuer à revendiquer et à pratiquer une forme de liberté de parole. Ces élites exercent une critique justifiée par leur maîtrise de la tradition écrite et par leur expérience du gouvernement. Elles envisagent la liberté de parole comme un devoir religieux vis-à-vis du prince en appellent à sa conscience et l’exhortent à être à la hauteur du pouvoir reçu de Dieu. Leurs paroles critiques prennent aussi un public à témoin dans le cadre d’un rituel politique qui n’est jamais parfaitement contrôlé ni instrumentalisé. Elles contribuent ainsi à associer une large communauté fondée religieusement à l’exercice du pouvoir.
En comparant la liberté de parole assumée par ces élites médiévales c’est donc le fonctionnement des empires du Moyen Âge central qu’on analyse – des empires dont l’assise théocratique reste compatible avec la critique et implique la participation sous contrôle d’une partie des populations. Au début de la période celui qui critique le prince lui donne un gage de fidélité ; il déclare que le pouvoir exercé peut être amélioré. À la fin de la période le critique fait d’abord valoir son amitié pour le souverain – indice de la réduction de l’assise collective de ces régimes.
Gouverner par les livres
Les Légendes dorées et la formation de la société chrétienne (xiii e-xv e siècles)
La Légende dorée de Jacques de Voragine constitue à n’en pas douter une œuvre centrale et incontournable de la littérature européenne. Le nombre considérable de ses témoins manuscrits dans toutes les langues de l’Occident médiéval permet largement de le mesurer tout autant que la foule des œuvres qui s’en sont inspiré.
On ne peut manquer pourtant de s’étonner : la Légende dorée a certes circulé à travers les milieux sociaux les aires linguistiques et les territoires les plus divers mais au prix de substantielles transformations dans sa matérialité dans sa composition dans ses significations et ses usages. Pourtant sans devenir absolument méconnaissable la compilation hagiographique confectionnée à la fin du xiii e siècle a rapidement constitué une matrice textuelle accueillante et ouverte aux interventions que ses lecteurs ultérieurs ont apportées pour mieux l’actualiser au gré de leurs besoins et selon les nécessités des contextes. Tel est bien le paradoxe d’une œuvre si plastique et polyvalente qu’avec une singulière longévité littéraire elle parvient à perdurer non pas malgré mais grâce aux modulations considérables qu’elle connait.
C’est ainsi que la Légende dorée a pu s’imposer comme un instrument à la fois souple et robuste de la pastorale tout à la fois tourné vers l’édification de l’individu et assurant l’interface entre la collectivité de tous les hommes et la grande Cour des saints.
Les cisterciens et la transmission des textes (XIIe-XVIIIe siècles)
Les cisterciens sont moins connus pour avoir recherché et retravaillé les textes que pour leurs efforts de centralisation et d’unification dans l’architecture et les arts la liturgie et la vie quotidienne et pour leur utilisation active de l’écrit pragmatique – pour ne citer que ces quelques domaines. Et pourtant leurs bibliothèques parfois immenses font mentir par leur richesse et les textes rarissimes ou inattendus qu’elles nous ont conservés l’idée d’un ordre peu consacré aux études. Où les cisterciens ont-ils trouvé ces textes ? Quels étaient leurs réseaux ? Avaient-ils des critères pour choisir les textes à copier et les modèles ? La recherche des textes était-elle dans ces abbayes réfléchie concertée ? En somme les cisterciens ont-ils été des transmetteurs par hasard ou parce que leur intérêt pour les textes allait bien au-delà de ce que nous croyons habituellement ? Ce livre montre que la seconde réponse est certainement la plus juste.
Philippe le Chancelier prédicateur, théologien et poète parisien du début du xiii e siècle
Homme de savoir et de pouvoir Philippe le Chancelier (mort en 1236) se distingue par une production de qualité dans des domaines aussi divers que la théologie la prédication ou encore la poésie lyrique. Sa charge de chancelier de Notre-Dame de 1217 à 1236 le place au cœur des événements qui rythment la vie ecclésiastique parisienne. Il prend part aux grandes querelles de son temps notamment celles qui entourent l’émergence de l’université. Il est l’auteur de l’une des premières sommes préscolastiques la Summa de bono qui exerce une influence notable sur plusieurs générations de théologiens. D’autre part il est un prédicateur très apprécié dont les sources conservent une trace abondante. Sa production lyrique occupe une place importante dans l’histoire littéraire et musicale.
Encore mal connue cette figure complexe et prolixe mérite donc qu’on lui consacre des études croisées permettant l’éclairage de différents champs disciplinaires. Les études ici assemblées ont pour ambition d’aborder chacun des domaines dans lesquels Philippe le Chancelier s’est illustré dans le but de faire dialoguer ces corpus et de faire apparaître des zones de cohérence ou des registres intertextuels encore peu explorés.
Les Écoles de pensée du XIIe siècle et la littérature romane (oc et oïl)
Études recueillies par Valérie Fasseur et Jean-René Valette
Souvent présentée comme une période charnière la « Renaissance du xii e siècle » voit fleurir les écoles : école de Laon de Saint-Victor de Paris de Chartres école d’Abélard aussi auxquelles on peut ajouter le groupe formé par les Porrétains ou bien encore les « écoles du cloître » (chartreux cisterciens clunisiens). L’« âge des écoles » marque ainsi le passage d’une forme de vie intellectuelle à une autre l’évolution de la culture monastique vers la culture urbaine qui verra la naissance de l’université de Paris au xiii e siècle et l’avènement de la scolastique. Au moment où se produit un tel essor la littérature en langue romane connaît une seconde naissance. La langue d’oc voit s’épanouir la lyrique tandis qu’au nord de la Loire dès les dernières années du xi e siècle les chansons de geste se répandent avant que les romans et la poésie des trouvères ne fassent leur apparition. Loin d’être étrangers l’un à l’autre ces deux phénomènes entretiennent des rapports nombreux et complexes qui valent d’autant plus d’être étudiés que le retentissement de ces écoles de pensée sur la littérature romane est perceptible bien au-delà du xii e siècle. Telle est l’ambition de cet ouvrage qui propose un bilan historiographique de nombreuses études de cas et une réflexion à caractère épistémologique.
Le dictamen dans tous ses états
Perspectives de recherche sur la théorie et la pratique de l’ars dictaminis (XIe-XVe siècles)
L’ars dictaminis ensemble de techniques de rédaction latines créées entre 1070 et 1250 pour répondre aux nouveaux besoins de la société médiévale jouit depuis deux décennies d’un regain d’attention notable. Art rhétorique cultivé par les différentes autorités ecclésiastiques et laïques durant la plus grande partie du bas Moyen Âge l’ars a profité de l’intérêt accru pour l’histoire des techniques de communication. Peut-on dire pour autant que l’étude de ce courant central de l’écriture médiolatine est réellement sortie d’un enclavement séculaire ? Non. Dans une volonté de décentrer l’étude de l’ars dictaminis de l’approche strictement théorique pour envisager l’ensemble des problèmes que ce champ d’étude pose à l’histoire médiévale le colloque a affronté collectivement l’ensemble des questions posées par l’ars dictandi en tentant à la fois de faire le bilan des avancées effectuées ces dernières décennies et de préciser les perspectives de recherche.
Les contributeurs : Anna Adamska Elisabetta Bartoli Francesca Battista Filippo Bognini Tanja Broser Martin Camargo Fulvio Delle Donne Claudio Felisi Paolo Garbini Benoît Grévin Florian Hartmann Dario Internullo Maria Koczerska Vito Sivo Francesco Stella Matthias Thumser Anne-Marie Turcan-Verkerk Charles Vulliez
Le Pater noster au XIIe siècle
Lectures et usages
« Breviarium totius evangelii » selon l’heureuse formule de Tertullien la prière du « Notre Père » enseignée par Jésus à ses disciples apparaît dans l’histoire de la chrétienté comme un moyen capital de formation spirituelle et morale aussi bien d’un individu que d’une communauté. Son message est dévoilé renforcé et répandu grâce à la série de commentaires et d’autres ouvrages produits autour d’elle.
Au cours du xii e siècle on assiste à des lectures renouvelées des sept demandes de l’oraison dominicale suscitées par différents facteurs : la multiplication des écoles urbaines et la mise en place de nouveaux instruments de formation ; la nécessité de réformer l’Église à partir de perspectives diverses autant ecclésiastiques que laïques ; un esprit attentif aux sources et aux auctoritates.
Le but de ce recueil est de mettre en lumière les divers mouvements d’appropriation et retransmission du « Notre Père » dans différents contextes institutionnels (les écoles les communautés de religieux etc.) et selon une multiplicité de réécritures.
Docteur en histoire de la philosophie et histoire des idées de l’Université de Rome La Sapienza Francesco Siri est ingénieur de recherche auprès de l’I.R.H.T. de Paris. Ses travaux portent sur les maîtres en sacra pagina du xii e siècle et l’édition des textes médiolatins.
Le pouvoir des mots au Moyen Âge
Études réunies
L’idée d’un pouvoir ou d’une efficacité des paroles émerge de la lecture de sources fort différentes au Moyen Âge qu’il s’agisse de textes doctrinaux ou d’ouvrages à vocation pratique. Ce livre se veut une confrontation la plus large possible sur ce thème dans une perspective d’histoire intellectuelle et anthropologique. En effet dans les différents cas relevant de différents domaines de nombreuses questions transversales se posaient au sujet des éléments qui étaient décrits comme déterminant l’efficacité de la parole (les paroles elles-mêmes le rituel les protagonistes). Cette efficacité faisait-elle l’objet d’un discours normatif ? Donnait-elle lieu à un discours réflexif de la part des philosophes ou des théologiens ? L’engagement du locuteur sa croyance son intention étaient-elles comme le consentement ou la collaboration de l’auditeur des facteurs déterminants ? Existait-il dans les paroles un pouvoir intrinsèque ou n’étaient-elles que le vecteur d’un pouvoir venu d’ailleurs surnaturel notamment ? Des matériaux et analyses présentés surgissent des questions qui pourront intéresser la philosophie du langage comme l’histoire ou l’anthropologie.
Pierre le Mangeur ou Pierre de Troyes, maître du XIIe siècle
Etudes réunies
Pierre le Mangeur connu également sous le nom de Pierre Comestor est souvent appelé par ses contemporains Pierre de Troyes. Il est né probablement dans cette ville et y a été doyen du chapitre cathédral. Mais s’il reste fidèle à cette cité c’est en tant que maître à Paris qu’il jouit d’une réputation considérable: successeur de son maître Pierre Lombard il a parmi ses élèves des auteurs aussi prestigieux que Pierre de Poitiers ou Étienne Langton. À la fin de sa vie (il meurt en 1178) il se retire à Saint-Victor de Paris. Son œuvre la plus célèbre est l’Historia scholastica sorte de manuel d’études bibliques fondé sur une réécriture des parties narratives de la Bible (jusqu’aux évangiles) et intégrant de nombreux éléments d’exégèse. Commentée pendant une ou deux générations (fin du xii e siècle début du xiii e) elle fait l’objet d’une adaptation extrêmement bien diffusée en latin l’Aurora de Pierre Riga puis de traductions-adaptations en diverses langues vernaculaires notamment la Bible historiale de Guyart des Moulins (à la fin du xiii e siècle) qui constituera la traduction française la plus répandue de la Bible jusqu’au xvi e siècle. Pierre le Mangeur est aussi l’auteur d’un corpus de 189 sermons qui laissent percevoir une évolution vers le sermon «moderne» plus tardif et de commentaires des évangiles très passionnants en ce qu’ils nous font véritablement entrer dans la classe du maître. Son œuvre théologique encore mal connue comprend un nombre important de quaestiones un traité sur les sacrements et peut-être un commentaire des Sentences de Pierre Lombard dont seuls des fragments nous sont parvenus.
Le présent volume examine ces différents aspects de l’œuvre de Pierre le Mangeur et situe cet auteur dans l’histoire culturelle de son temps: très marqué par les conceptions herméneutiques de Hugues de Saint-Victor (et lié à cette école majeure du xii e siècle) il est aussi l’un des représentants principaux de ce que l’on a pu appeler l’«école biblique-morale» parisienne du dernier tiers du xii e siècle. Le retentissement de son œuvre fait l’objet de plusieurs études et rappelle que l’Historia scholastica a été imprimée dès le dernier quart du xv e siècle.
Entre dévotion et théologie scolastique
Réceptions de la controverse médiévale autour de l'Immaculée Conception en pays germaniques
La deuxième moitié du XIIe siècle voit surgir en Occident les prémisses de ce qui deviendra dès le XIVe siècle une véritable controverse celle de l’Immaculée Conception. Dans l’instant où elle fut conçue Marie avait-elle contracté le péché originel ? La question débattue dans des traités scolastiques mais également dans des sermons a quitté immanquablement la sphère des doctes litterati pour venir toucher les illitterati qui ne comprenaient pas le latin.
Cet ouvrage est le premier dédié à la réception de la controverse dans la littérature allemande. Dans une approche résolument ouverte et pluridisciplinaire il confronte l’évolution du débat universitaire et de la célébration liturgique avec leurs résonances dans les textes vernaculaires et dans les sources iconographiques. Quelles idées circulent entre litterati et illitterati ? Cette étude s’attache à les reconstruire et tout à la fois à identifier les acteurs de cette transmission à discerner les modalités de diffusion du savoir religieux qu’ils privilégient voire à restituer ce que l’illitteratus pouvait comprendre de la controverse et comment il parvenait à se l’approprier. Réalisée sur le temps long sans renoncer à mettre en relief certains cas exemplaires de la transmission des idées elle montre l’étonnant accueil réservé par une littérature vernaculaire aux débats savants. L’étendue du culte marial y trouve de nouvelles confirmations tandis que l’on constate la volonté d’auteurs de catégories socio-culturelles diverses du professeur au simple laïc de familiariser les moins doctes avec l’une des questions théologiques les plus complexes qui soient.
Docteur de l’Université de Genève Réjane Gay-Canton est chargée de recherche au sein du projet européen OPVS (ERC Starting Grant IRHT Paris).
L'exorcisme des possédés dans l'Eglise d'Occident (Xe-XIVe siècle)
L’exorcisme attesté depuis les premiers temps de l’Église est une pratique mal connue. Le soupçon qui l’entoure a pu être entretenu par son objet: mettre en fuite le démon amène inévitablement à nommer celui-ci à le reconnaître à lui donner la parole. L’arme de l’exorcisme destinée à repousser le diable en l’expulsant du corps des possédés offre toujours à ce maître du mensonge quelques moments de puissance et de gloire.
Comment entre le Xe et le XIVe siècle dans tout l’Occident chrétien a-t-on perçu analysé et représenté cette lutte contre un fauteur de désordre qui à la faveur de la possession met en danger l’équilibre des individus et trouble en même temps la société tout entière? La liturgie l’hagiographie la prédication l’iconographie le droit canon ou les correspondances de clercs font apparaître un discours ecclésiastique destiné à mettre en scène le processus par lequel l’Église retrouve inévitablement son unité en dépit des efforts du Malin. Manifestation singulière du pouvoir des mots l’exorcisme offre aussi de nouvelles clés de lecture à propos d’autres usages de la parole caractéristiques des pratiques sociales à partir du XIIIe siècle comme la prédication la confession et l’Inquisition.
Florence Chave-Mahir agrégée d’Histoire et Docteur en Histoire médiévale de l’Université Lumière Lyon 2 appartient au laboratoire de recherches Histoire et archéologie des mondes chrétiens et musulmans médiévaux - UMR 5648.
Étienne Langton, prédicateur, bibliste, théologien
Études réunies
Étienne Langton est probablement un homme-clé dans l’histoire du Moyen Âge. Son implication politique à la tête de l’Église d’Angleterre en tant qu’archevêque de Canterbury est bien connue de même que son rôle dans la promulgation de la Magna Carta qui s’efforce de trouver une solution aux crises qui secouent le pays. Cependant tout en proposant des aperçus novateurs sur l’action politique d’Étienne Langton la plus grande partie des études recueillies dans ce volume examinent les œuvres de celui qui était considéré comme l’un des principaux maîtres de son temps (il a enseigné à Paris durant plus de deux décennies). Il a en effet brillamment illustré les trois volets de l’enseignement des sciences sacrées tels que les définit Pierre le Chantre lire disputer prêcher. Lire c’est étudier l’Écriture sainte; Étienne Langton a commenté la quasi-totalité des livres bibliques en sachant à la fois recueillir toute la tradition qui le précède et ouvrir des voies nouvelles: le point est fait ici sur son herméneutique et sur ses méthodes d’exégèse avec des études sur des livres bibliques précis mais aussi sur son commentaire d’un texte majeur de la génération précédente l’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur. Disputer c’est discuter des thèmes doctrinaux; il s’agit d’un travail théologique avant même que la théologie ne soit définie comme une science à part entière et Étienne Langton illustre les genres principaux de la «somme» et de la «question» en mettant au service de ses analyses ses compétences particulières en matière de sciences du langage. Enfin Étienne Langton a laissé un nombre impressionnant de sermons dont la richesse thématique est grande et qui fournissent également des éléments précieux sur l’état de l’Église. À la charnière du xii e et du xiii e siècle Étienne Langton pose les bases de ce que sera la culture universitaire du xiii e siècle et apparaît ainsi comme un auteur à la fois important et attachant.
Per verba magistri
Anselme de Laon et son école au XIIe siècle
Loué par ses contemporains et critiqué par le seul Pierre Abélard Anselme de Laon († 1117) constitue l’une des figures majeures de la « Renaissance du xiie siècle ». Anselme n’est pas seulement l’auteur probable de gloses et de commentaires bibliques il est aussi le rédacteur de sentences théologiques à la diffusion manuscrite non négligeable. Afin de comprendre cette figure magistrale il convient de restituer la carrière d’Anselme de suivre la transmission de ses sentences théologiques et d’étudier la constitution des recueils rattachés à son enseignement. Il devient alors possible de montrer la manière dont un maître aussi prestigieux a fait école de son vivant et jusque dans les dernières décennies duXIIe siècle.
Cédric Giraud ancien élève de l’École nationale des chartes et agrégé d’histoire est maître de conférences à l’université de Nancy 2 (ERL 7229 de Médiévistique). Ses recherches portent sur l’histoire culturelle du Moyen Âge central et la philologie médiolatine.
L'intelligence d'un sens.
Odeurs miraculeuses et odorat dans l'Occident du haut Moyen Âge (Ve-VIIIe siècles)
Que peut-on vraiment lire dans les récits médiévaux relatant les émanations et les perceptions des ‘odeurs de sainteté’? Cette expression elle-même fut-elle jamais pleinement signifiante non pas sublimée en une métaphore toute spirituelle mais au contraire bien charnelle et donc partie intégrante d’une culture?
Prenant pour point de départ les récits d’exhalaisons extraordinaires cet ouvrage s’attache à reconstruire l’importance et la signification qu’ont pu revêtir odeurs et odorat en Europe occidentale dans la culture et la pensée religieuses voire même dans l’expérience des hommes et des femmes du haut Moyen Âge période formatrice s’il en fut. S’appuyant sur un dépouillement systématique des récits hagiographiques Martin Roch revalorise ces sources souvent décriées tout en les confrontant méticuleusement aux textes bibliques et patristiques aux documents liturgiques et même aux données archéologiques disponibles.
En déplaçant le point de vue de l’odeur miraculeuse à sa perception et aux récits qui en sont faits l’auteur se tient fermement sur le terrain de l’histoire de ses sources et de ses méthodes sans se priver pour autant de dialoguer avec les autres sciences humaines ou encore la médecine ou la psychologie. Il démontre ainsi que par delà les formules littéraires les approches superficiellement rationalistes ou les effets de mode les odeurs extraordinaires peuvent être reconnues comme un authentique objet d’histoire. Ce faisant il parvient à mettre en évidence une réalité autrement plus riche et complexe que ce que l’on pouvait soupçonner.
Martin Roch est docteur en histoire médiévale de l’Université de Genève.
Prédication et liturgie au Moyen Âge
Etudes réunies
La transmission des traces écrites de la prédication médiévale prend habituellement la forme de recueils de sermons ordonnés selon les fêtes du calendrier liturgique. Pour autant la relation d’intimité entre prédication et liturgie qu’on serait tenté d’en déduire n’est ni nécessaire ni évidente. La discrétion des liturgistes médiévaux sur les pratiques de prédication l’atteste et de même celle des auteurs d’artes predicandi sur la liturgie.
Comment la prédication et la liturgie ces deux manières complémentaires mais clairement distinctes de construire un discours public sur la foi et de pratiquer la religion au sein de la société sous la forme d’actions auxquelles on prête une efficacité symbolique se sont-elles rejointes voire mutuellement renforcées au cours de l’histoire de la christianisation? Telle est la question qui sous-tend la quinzaine d’études réunies dans ce volume. Le millénaire médiéval s’y trouve à dessein enchâssé entre la période d’épanouissement de la prédication des Pères qui est aussi le temps de l’élaboration d’assises durables pour la liturgie et le moment crucial des remises en question de tous ordres qui à partir du xvi e siècle permettent d’observer le temps passé comme dans un miroir. La parole y est surtout donnée aux prédicateurs en réalité très diserts sur les textes lus et chantés les gestes les vêtements les rites et les usages de la liturgie – en particulier sur les rituels de consécration ou de dédicace des églises et sur les processions de la Fête-Dieu. Si les prédicateurs de la sorte donnent sens au culte la liturgie est aussi pour eux un instrument pédagogique mis au service de la mémorisation de leur message un langage qu’ils s’approprient en recourant à la citation poétique ou à la transposition métaphorique des mots du rituel voire une autorité qui leur sert d’argument de persuasion ou plus rarement dont ils éprouvent la validité rationnelle. De plus dès le xiii e siècle dans les villes les frères mendiants n’hésitent pas à détacher leurs prises de parole des temps et des lieux ordinaires de la célébration liturgique au profit de la conquête et de la sacralisation d’un temps et d’un espace du quotidien alors que le théâtre et les livres de lecture s’emparent des techniques du sermon et des ressources de la liturgie en des formes renouvelées de la pratique pastorale.
Abbon, un abbé de l’an Mil
Bien que l’œuvre littéraire et scientifique d’Abbon de Fleury (v. 950-1004) ait été aussi importante que celle de son célèbre contemporain Gerbert (devenu le pape Sylvestre II) l’abbé du monastère fleurisien restait cependant mal connu. Le colloque organisé en 2004 pour célébrer le millénaire de sa mort a voulu donner un souffle nouveau aux études abboniennes. Les contributions qui s’articulent autour de deux thèmes principaux vie monastique religion et culture abordent la plupart des domaines dans lesquels s’est exercée la compétence d’Abbon: astronomie comput musique droit canon hagiographie histoire… Sont également traitées des questions touchant à l’ecclésiologie et à la réforme monastique ou concernant le monastère lui-même et son temporel ou un autre monastère orléanais Saint-Mesmin de Micy. De ces «éclairages entrecroisés» ressort un portrait renouvelé de ce grand abbé à la fois homme de science et chercheur d’unité unité de l’Église unité de son monastère et de l’ordre bénédictin.