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Il est de tous connu qu’une des façons dont Borges s’approprie la littérature étrangère (aussi bien européenne qu’américaine) est par le biais de la traduction conçue comme réécriture irrévérencieuse : pensons seulement à l’hypothèse lancée par Alan Pauls selon laquelle la traduction serait le grand modèle de la pratique borgésienne (Helft et Pauls 2000, p. 210).
Des chercheurs comme Efraín Kristal (2002), Patricia Willson (2004) ou Sergio Waisman (2005) ont présenté Borges comme quelqu’un qui effectuait des traductions selon des critères qui obéissaient à son propre projet d’écriture, qui était parfaitement conscient de la fonction fondamentale de recréation et de transgression que cette activité accomplit dans le tissu culturel. Cette interprétation se situe, bien évidemment, dans le prolongement de la mise en doute des concepts d’auteur et d’origine qui caractérise la pensée littéraire de l’écrivain argentin.
Dans mon article, je me propose d’étudier en détail la traduction faite par Borges du « Matelot d’Amsterdam » de Guillaume Apollinaire (L’Hérésiarque et Cie, 1910) et de commenter les traces laissées par le texte source dans son propre récit « Emma Zunz » (El Aleph, 1949). À partir de cet exemple concret, brièvement introduit par Efraín Kristal (2002, pp. 111-113), j’essaierai de déterminer dans quelle mesure le travail de traduction de Borges, au sens théorique et pratique du terme, a constitué le point de départ de quelque chose de nouveau.
Bien que sans aucun doute Borges attribuait à la traduction un rôle qui allait bien au-delà d’une simple transposition d’un système linguistique à un autre, il faut se méfier également de ce qui risque de devenir un lieu commun de la critique – lieu commun qui a d’ailleurs déjà suscité des réactions, par exemple de la part de Marietta Gargatagli. En définissant clairement les intentions qui se trouvent à l’origine de la stratégie de traduction et de réécriture dans un cas concret, j’espère pouvoir contribuer à éclairer la relation entre l’œuvre de Borges et la littérature occidentale.
AbstractIt is well known that one of the ways in which Borges appropriates foreign literature (European as well as American) is by translating it, which means that he rewrites it in an irreverential way : Alan Pauls has argued that translation can be considered as the central component of Borges’s work (Helft and Pauls 2000, p. 210).
Researchers such as Efraín Kristal (2002), Patricia Willson (2004) or Sergio Waisman (2005) have portrayed Borges as someone who performed his translations according to the major principles underlying his own literary project, and who was very much aware of the important role recreation and transgression were fulfilling in the cultural field. This interpretation has clear affinities with Borges’s views on authorship and originality, two concepts he challenged.
My paper will deal with the translation made by Borges of “Le Matelot d’Amsterdam,” an original story by Guillaume Apollinaire (L’Hérésiarque et Cie, 1910). I will focus on the traces left by the source text in Borges’s own story “Emma Zunz” (El Aleph, 1949). This example, briefly mentioned in Efraín Kristal’s study (2002, pp. 111-113), offers the opportunity to determine to what extent Borges’s translation activity, in both a theoretical and a practical sense, has been the point of departure for newness.
Though without doubt Borges was convinced that translation plays a role that goes beyond the mere transposition from one language system into another, we also should warn against what is becoming a commonplace in literary criticism, against which some researchers (Marietta Gargatagli, for instance) have already reacted. By defining the aims at the origin of the translation strategy in one particular case, I hope to clarify the relationship between Borges and Western literature.