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Pour comprendre comment les anciens Arabiques concevaient la structuration territoriale de la Péninsule, notamment à l’aube de la prédication muḥammadienne, nous disposons principalement de deux sources. La première est constituée par les innombrables inscriptions antiques. Ces inscriptions sont riches en informations pour les royaumes de Sabaʾ et de Ḥimyar entre le ier et le ive siècle de l’ère chrétienne ; elles nous éclairent quelque peu sur le Jawf à l’aube de la civilisation sudarabique, sur le royaume de Qatabān pour le ier siècle avant l’ère chrétienne et pour le ier après, et sur le royaume de Ḥimyar qui, à la veille de l’Islam, s’étend alors sur toute l’Arabie ; elles comportent enfin des données éparses pour la zone Najrān-Qaryat al-Faʾw, le Ḥijāz septentrional et les royaumes du Golfe, surtout pour les périodes antérieures à l’ère chrétienne. Ces inscriptions de l’Arabie préislamique, surtout sudarabiques, révèlent une société diverse et complexe. Dans chaque entité politicotribale, la terminologie présente des particularités. Ce qui est encore plus intéressant, pour la période des iiie et ive siècles de l’ère chrétienne, les inscriptions sabéennes emploient des termes différents pour désigner les groupes sociaux de la Sudarabie et ceux des populations considérées comme étrangères : arabes et abyssines. La terminologie se caractérise aussi par une certaine ambiguïté : tous les groupes sociaux sudarabiques, qui s’emboîtent les uns dans les autres, quelle que soit leur taille, sont désignés par le même terme, shaʿb, sauf à Maʿīn dans la zone Najrān-Qaryat al-Faʾw. Ces éclaircissements étant apportés à la notion de « tribu » et donc de « territoire tribal », il est possible de reconstruire de manière assez précise la carte tribale de la montagne yéménite pour les premiers siècles de l’ère chrétienne. Les chercheurs qui travaillent sur l’époque de Muḥammad fils de ʿAbd Allāh, le fondateur de l’Islam, s’intéressent avant tout aux tribus arabes de l’Arabie occidentale et centrale, qui jouent un grand rôle dans les premières décennies de l’Islam. Du fait du manque de données antiques, ils se rabattent sur les sources d’époque islamique, avant tout les ouvrages géographiques qui décrivent une Arabie postérieure de plusieurs siècles ou les généalogies qui sont supposées contenir des matériaux d’une grande antiquité. Ces sources sont très riches en données fiables pour leur époque de rédaction, mais il est évident qu’elles ne permettent guère de remonter dans le temps. Entre les siècles les mieux connus de l’histoire sudarabique et les textes islamiques de référence (postérieurs de plus de quatre siècles), la société tribale s’est profondément transformée, comme le montrent de considérables changements dans la carte tribale. Également notable, la représentation de la société tribale est passée du modèle hiérarchique et inégalitaire au modèle généalogique, comme le révèle une nouvelle terminologie. Enfin, il est remarquable que les généalogies ne conservent la mémoire que d’une petite partie des personnages et des tribus datant des siècles précédant l’Islam. Pour l’illustrer, il suffit de faire la liste des personnages mentionnés dans les textes épigraphiques du vie siècle : seule une petite minorité apparaît dans les généalogies dont nous disposons (composées au ixe siècle ou plus tard). S’il est imprudent de se fonder sur les généalogies pour reconstruire la société arabique de l’époque de Muḥammad ou des périodes plus anciennes, les généalogies n’en contiennent pas moins des informations fiables sur les ascendants des personnes qui avaient une position sociale élevée dans l’empire islamique. On peut en effet formuler l’hypothèse qu’une partie significative des matériaux rassemblés par les généalogistes est fiable parce que les noms de personne dans les généalogies présentent une parenté évidente avec ceux des inscriptions rupestres préislamiques de la région de Najrān.
AbstractTwo main sources allow us to understand how the ancient Arabs envisioned the territorial structuring of the Peninsula, especially at the dawn of Islam. The first of them is comprised of the countless inscriptions, rich in information about the kingdoms of Sabaʾ and Ḥimyar (1st-4th centuries ad). They shed some light on the Jawf at the dawn of the Southarabic civilisation, on the kingdom of Qatabān (1st century bc - 1st century ad), and on the kingdom of Ḥimyar, which extended over the whole Arabia, as well as a small amount of scattered data for the region of Najrān-Qaryat al-Faʾw, the northern Ḥijāz and the Gulf kingdoms, especially for the periods before the Christian era. These inscriptions reveal a diversified society. The terminology of each political-tribal entity has its own particularities. The Sabaic inscriptions use different terms to refer to the social groups of Southarabia and to other populations considered as foreign, the Arabs and Abyssinians. The terminology is also characterised by a certain ambiguity: all the Southarabic groups, regardless of their size, are named by the same word, shaʿb, except at Maʿīn in the area of Najrān-Qaryat al-Faʾw. Henceforth it is possible to reconstruct with accuracy the tribal map of the Yemeni mountains for the first centuries of the Christian era. The scholars who work on the time of Muḥammad, son of ʿAbd Allāh, the founder of Islam, are primarily interested in the Arab tribes from western and central Arabia, which played a major role in the early decades of Islam. Due to the lack of ancient data, they rely on Islamic sources, above all on geographical treatises describing Arabia, written several centuries later, or on genealogies that were supposed to contain information of great antiquity. These sources are rich in reliable data for the period in which they were written, but it is obvious that they do not allow us to go back in time. Between the Southarabic time, known from the epigraphic sources, and the Islamic period, more than four centuries later, the tribal society underwent profound changes, as can be seen from the obvious changes in the tribal map. Also remarkable is the change of the tribal society from a hierarchical and non-egalitarian model to a genealogical pattern, as revealed by the new terminology. The genealogies preserved the memory of only a small portion of the people and tribes preceding Islam. An illustration of this would be the lists found in the epigraphic texts from the 6th century: only a few names are inscribed in the genealogies from the 9th century or later. Therefore, one may not rely on the genealogies in order to reconstruct the Arabic society of the time of Muḥammad or earlier periods. The genealogies nevertheless contain reliable information on the ancestry of people who had a high rank in the Islamic empire, and a significant part of the material collected by genealogists seems trustworthy as the names mentioned in the genealogies are related to those inscribed in pre-islamic rock inscriptions in the region of Najrān.