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Cette étude se consacre à des récits contemporains français qui s’écrivent au point de rencontre de deux deuils aussi différents que convergents : d’une part le deuil d’un être aimé trop tôt disparu, un enfant, et d’autre part le deuil du rite traditionnel, qui autrefois soutenait, consolait, fortifiait l’affligé. Ces récits montrent à quel point notre rapport contemporain à la mort fait l’objet de désirs contradictoires : alors que la société demande à la mort de ne pas (trop) se montrer et exige que la souffrance soit réduite à la portion congrue - tant il est vrai que souffrir n’a plus de sens quand on n’a plus de dieu à qui offrir sa souffrance -, des textes littéraires font entendre la voix de celles et ceux qui consentent à souffrir, qui craignent de ne pas souffrir assez et qui désirent éprouver le deuil dans toute sa violence. L’enjeu de cette étude est de montrer que l’analyse et le récit du deuil le plus privé n’est jamais une affaire purement intime. Se substituant aux rites traditionnels dont il assume l’héritage autant qu’il le critique, le récit de deuil contemporain interroge le malaise de toute société dont certains de ses membres, les plus sensibles sans doute, découvrent dans l’angoisse et dans l’urgence qu’il leur faut se « bricoler » un nouveau savoir sur la mort, « inventer de nouveaux rites » et réapprendre à pleurer : sur le disparu, sur soi, et très vraisemblablement sur le destin de toute société perdue.
AbstractThis paper concerns contemporary French novels that address bereavement after the loss of a child. The question is not only who the narrator or the main character of these stories mourn for, but also what they grieve for when they bury themselves in sadness. The answer provided by the novels under consideration is that characters not only grieve their loved ones but also lament the very loss of rites, which forces them into experiencing a sense of human fragility. A child has to die in order that his or her supposedly adult parents understand the volatility of life. While religious rites used to provide solace to the bereaved, they no longer do so in modern secular France. Religious rites tend to be judged as stuffy, formal and ill-suited to the contemporary emotions aroused by the unexpected death of a child. How will parents manage to cope with a hideous tragedy concealed by a deceitful consumerist society? The process of expressing the experience of bereavement is seen as an alternative and a far more efficient rite, not only because it does full justice to the personality of the deceased and the feelings of the bereaved but also because it emphasizes the “ritual creativity” of secular people.